Cher(e) ami(e),
Imaginez-vous :
- oublier tous les beaux moments de votre vie, y compris le nom de votre mari ou épouse ;
- avoir le cerveau au ralenti en permanence, avec 30 % d’ « énergie cérébrale » à « économiser chaque jour[1] » ;
- avoir des déconnexions totales[2], jusqu’à vous perdre en vélo sur une route familière ;
- disjoncter complètement au point de vouloir soigner vos caries avec de la super-glue !
Vous pensez peut-être que je vous parle d’Alzheimer ?
Eh bien, pas du tout !
Les personnes concernées sont sportives, en excellente santé, suivies et surtout… jeunes !
Mais cela ne s’arrête pas là !
Certains sont en proie à de dramatiques dépressions (conduisant parfois au suicide), des idées suicidaires, des démences précoces, une anxiété incontrôlable, des absences, des migraines, des vertiges, des troubles de la personnalité…
Tant et si bien que, selon un récent rapport du cabinet d’avocats, Rylands Garth[3]…
Plus de 400 rugbymen décédés prématurément depuis 10 ans !
La raison de cette hécatombe ?
Des chocs violents et répétés à la tête, en d’autres termes, des commotions cérébrales.
Alors que la Coupe du monde bat son plein en France, 235 joueurs internationaux attaquent la World Rugby, la fédération mondiale[4].
Leur accusation : les avoir mis en danger pour la beauté du spectacle.
Car tous souffrent d’encéphalopathie traumatique chronique (ETC), due aux multiples commotions cérébrales[5] subies sur le terrain.
Difficile de faire plus clair.
En octobre dernier, des chercheurs ont établi que les anciens joueurs internationaux avaient :
- 2,5 plus de risque que la population générale de faire des ETC et de développer des maladies neurodégénératives précoces ;
- 3 fois plus de risques que les pratiquants d’autres sports de haut niveau, d’avoir Parkinson[6] !
Mais le pire pour tous ces joueurs, c’est bien que…
« Là, c’est invisible et tu passes pour un menteur[7] »
Tout le problème des commotions cérébrales, c’est qu’elles sont invisibles.
Malgré la violence des chocs, et leurs dramatiques conséquences.
Après un choc, les joueurs passent des examens approfondis et… RIEN !
Les imageries ne décèlent AUCUNE lésion.
Pas de contusion, pas de rétrécissement cérébral comme dans Alzheimer, pas d’anomalie dans les plis du cortex…
Ils reprennent alors l’entraînement (parfois même continuent le match), comme si de rien n’était…
Ils paraissent « normaux » sauf qu’une commotion entraîne :
- un orage chimique, avec notamment un excès de calcium qui entre dans les cellules et une modification de l’oxygénation cérébrale ;
- une crise énergétique avec une modification du glucose dans le cerveau et une hyperexcitation des neurones ;
- des microdéchirures des fibres dans différentes régions du cerveau ;
- un déséquilibre métabolique[8].
Autant dire que si rien ne se voit… votre cerveau, lui, est irrémédiablement endommagé.
Conclusion bien triste : seule une autopsie post-mortem peut à ce jour, déceler à 100 % une ETC[9].
Dès lors, comment prouver le lien de cause à effet entre une commotion cérébrale et l’explosion de suicides chez les anciens joueurs ou leurs démences précoces ?
C’est grâce au travail d’un médecin légiste américain que le monde ne peut plus aujourd’hui fermer les yeux :
Bennet Omalu, lanceur d’alerte pour la santé… et contre les institutions !
On est le 24 septembre 2002, à Pittsburgh (États-Unis).
Bennet Omalu, médecin légiste, fait la rencontre sur sa table de Mike Webster, l’un des meilleurs joueurs de football américain de l’histoire.
Mort d’une crise cardiaque à 50 ans, ce dernier souffrait depuis de nombreuses années d’un mal bien sombre, ayant
- dilapidé sa fortune sans en avoir conscience, il vivait dans sa voiture ;
- uriné dans un four ;
- utilisé un Taser pour arrêter son mal de dos ;
- voulu soigner ses caries avec de la super glue… sans parler de sa paranoïa, de ses migraines intolérables ou encore de sa profonde dépression.
Pourquoi son cerveau est-il devenu fou[10] ?
Le Dr Omalu veut comprendre : il pratique alors des autopsies de cerveau d’autres anciens joueurs.
Il les finance même personnellement (ses demandes de financement sont refusées).
Après des années de recherche et d’obstination, le Dr Omalu publie en 2005 ses résultats fracassants dans le prestigieux Neurosurgery[11].
Il vient de mettre en lumière un phénomène encore inconnu avant lui : l’encéphalopathie traumatique chronique (ETC).
Mais au lieu de le remercier, la puissante ligue nationale de football américain, la NFL, l’intimide, le discrédite, le menace.
Le Dr Omalu devient l’homme à abattre[12].
Et pour cause, on ne s’attaque pas impunément au lucratif football américain…
Il faudra plus de 15 ans pour que la NFL accepte ses conclusions[13]… (alors même que 99 % des joueurs de football américains professionnels souffriraient d’ECT[14] !)
Mais alors…
Le « protocole commotion », de la poudre aux yeux ?
Depuis 2005, le monde sportif (et médical) sait que les commotions cérébrales créent des drames, ruinent des vies et des hommes.
Pourtant, si peu de choses sont faites en dehors du « protocole commotion » qui, pour certains médecins, « n’a aucune validité scientifique »… et serait même « dangereux[15] » !
De l’avis de certains, les rugbymen seraient même moins bien protégés que les boxeurs :
« Un boxeur a trois mois avant d’être autorisé à remonter sur le ring en cas de commotion. Un mois sans entraînement. Au rugby, tu peux revenir après 7 jours », Alix Popham[16].
Saison trop longue, trop de matchs, trop d’entraînements, joueurs dopés, l’ancien international gallois n’a pas la langue dans sa poche.
Lui aussi atteint de démence précoce liée à une ETC, il fait partie des plaignants contre la World Rugby, et dénonce :
« Les fédérations veulent que les superstars jouent chaque semaine. Ils se fichent de la santé des joueurs. Elles les traitent comme de la viande. »
Jusqu’ici, je ne vous ai parlé ici que des joueurs professionnels…
Mais le pire, c’est que les amateurs ne sont pas épargnés.
À tel point que c’est à se demander si
Au rugby, mourir fait-il partie du jeu ?
En témoigne le combat du père de Nicolas, jeune joueur de 20 ans du Stade Français, décédé après un double placage sur un terrain à Bordeaux en 2018.
Violemment touché à la tête, sa moelle épinière est atteinte, il fait un arrêt cardiaque et décède.
Depuis, son père a publié un livre au titre digne d’un uppercut : Rugby, mourir fait partie du jeu (éd. du Rocher).
Il est consterné par l’absence de réactions des institutions sportives, les « mesurettes » et le désintérêt pour la santé des joueurs[17].
Il ne milite pas pour changer les règles, mais pour que certaines règles soient appliquées, notamment « ne rien intenter qui soit dangereux ou imprudent pour l’adversaire. »
Surtout que
Un choc violent à la tête = 3 fois plus de risque de suicide !
Il n’est pas tolérable de sous-estimer l’impact majeur des commotions cérébrales depuis que des chercheurs canadiens ont montré que :
Faire une commotion cérébrale triple le risque de suicide et quadrule ce risque quand le choc a lieu le week-end[18].
Ils ont examiné 235 110 dossiers médicaux de patients ayant eu une commotion, toutes causes confondues (sport, accidents…).
Rien que sur les 9 ans de suivi, ils ont recensé 667 suicides par surdose de somnifères ou pendaisons. Aucun n’avait tenté de se suicider avant.
Voilà qui devrait faire réfléchir, surtout en pleine Coupe du monde !
Joueur comme spectateur doivent savoir.
La responsabilité est partagée.
Alors : le rugby, un « sport de voyous joué par des gentlemen » ?
À moins que les voyous ne soient pas ceux que l’on croit…
En tout cas, si vous connaissez des personnes qui pratiquent le rugby, le football ou la boxe (et même le handball ou le basket), parlez des commotions cérébrales avec eux !
Repérez les signes et engagez-les à se faire accompagner.
Surtout, veillez à ce qu’ils ne commencent pas trop tôt, idéalement pas avant 15 ans[19] (avant le cerveau n’est pas mûr et supporte mal les chocs à répétition)…
En parler avec eux, c’est déjà un premier pas pour les protéger !
Gaspard Frey
PS : Évidemment, les commotions cérébrales ne concernent pas uniquement le sport… vous pouvez en subir une à la suite d’une chute ou d’un accident de voiture. Surtout, les symptômes peuvent persister des années après le choc. Si vous pensez être concerné, parlez-en avec votre médecin traitant.